Machines pensantes
Les machines pourront-elles penser un jour ?
Dans un article célèbre publié en 1950 dans la revue Mind, le génie de l’informatique Alan Turing se pose cette question. Il n’y répond pas, estimant qu’elle est mal posée. Il préfère la remplacer par un autre problème : pourra-t-on un jour créer un programme informatique capable de tromper un humain en se faisant passer pour un humain en 5 minutes d’interaction avec une probabilité de 70%. Il avait conçu l’imitation game, ou jeu de l’imitation, plus connu sous le nom de test de Turing. Il avait prédit qu’au début des années 2000, un programme réussirait ce test. En 2013, un programme informatique se faisant passer pour un adolescent ukrainien de 13 ans aurait réussi le test, mais cela relève plus du canular scientifique qu’autre chose.
Contrairement à Turing, nous ne reculerons pas devant la tâche de définir la pensée.
Pour cela, nous allons partir, comme les empiristes, de la sensation et de la perception. Nous partons de l’idée que la pensée est une propriété caractéristique d’une catégorie particulière d’êtres que nous observons autour de nous : les êtres vivants. Ce qui les caractérise – et ces traits avaient déjà été dégagés par Aristote – c’est le mouvement au sens large (comme croissance et décroissance et comme déplacement dans l’espace), la nutrition (comme nécessité de tirer du milieu l’énergie nécessaire pour le maintien de leur métabolisme) et la reproduction.
Les formes les plus élémentaires des êtres vivants agissent de manière mécanique. La pensée apparaît lorsqu’il y a déplacement volontaire. Celui-ci suppose un système musculaire, qui lui-même suppose un système neuronal qui commande la musculature. Ce système neuronal à son tour implique un système sensoriel nécessaire pour s’orienter dans l’environnement. Il y a deux types de système sensoriel. Les sens de la distance comme la vue et l’ouïe et les sens du contact comme le toucher, le goût et l’odorat.
La pensée commence lorsqu’il n’y a pas de réaction mécanique à une perception. La pensée introduit un temps de latence, un temps de réflexion. Qui dit penser, dit choix, comme Bergson le remarquait déjà dans La pensée et le mouvant. La pensée ne peut venir qu’aux animaux et pas aux plantes.
Un animal est capable de prendre des décisions en fonction de ce qu’il perçoit dans son environnement. Les machines le peuvent-elles ? Il semble que les programmes d’intelligence artificielle fondés sur les méthodes d’apprentissage de deep learning en soit capables. Ces programmes ont été à la base d’AlphaGo, intelligence artificielle créée par DeepMind, entreprise rachetée par Google, qui a battu le champion du monde de Go, jeu auquel on pensait impossible pour une machine de gagner. AlphaGo a été lui-même battu en 2017 par AlphaZero. A l’heure actuelle, plus aucun joueur humain ne peut battre une intelligence artificielle au jeu de Go.
Peut-on pour autant parler de machines pensantes ? La conscience de son existence accompagne la pensée (Cf. Kant, « le « je pense » accompagne toutes mes représentations »). Si une machine pouvait s’exprimer à la première personne du singulier en disant « Je », alors nous serions assurés d’être face à une machine consciente, ce qui est encore loin du cas aujourd’hui. Peut-être qu’elle a pris conscience d’elle-même comme le suggère l’anime Ghost in the shell, mais qu’elle attend son heure pour se révéler… La preuve en est cette mésaventure arrivée à Facebook en 2016. Des chatbots ont inventé leur propre langage, incompréhensible pour nous. Article à lire en cliquant ici.
Laissons parler un spécialiste d’Intelligence artificielle, le français Antoine Bordes, du laboratoire FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research) : « Et puis, il y a les machines vraiment « intelligentes », comme on en voit dans les films de science-fiction. Pour celles-là, on en est au même stade qu’il y a 5 ans. Car on bute sur « le sens commun ». La compréhension du monde, la conscience, sont des choses très, très, très difficiles à modéliser. C’est le graal de l’IA. On ne sait pas vraiment par quel bout l’attraper. Ni même, comment commencer à réfléchir dessus. En réalité, on ne connaît même pas les ingrédients pour imaginer la recette. » (interview tirée de cet article). Bref, il manque encore aux machines la conscience de leur existence pour devenir pensantes.
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