Grâce au cache de Google®, j’ai pu récupérer cet article de novembre 2008 qui examine rapidement quelques pistes de réflexion sur la crise d’un point de vue philosophique.
J’ai réécrit quelques passages et amélioré la mise en forme.

Une crise en général, qu’est-ce que c’est ?
La question mérite d’être posée, car selon A. Comte, le philosophe est le « spécialiste des généralités ».
Étymologiquement, le mot crise, comme le mot critique dérive du verbe grec krinein, qui signifie d’abord : (1) trier, séparer, comme par exemple trier le bon grain de l’ivraie ou enlever la barbe des épis de maïs.
D’où aussi le sens dérivé de (2) : choisir, préférer, décider, trancher.
De manière générale, la crise est un jugement, mais un jugement particulier, car il s’agit d’un jugement existentiel.
L’expression mérite une explication, car le mot jugement renvoie à l’activité de la pensée : « penser, c’est juger » disait le philosophe Alain, et l’existence est une modalité de la vie.
L’expression apparaît donc comme un oxymore, ou une contradiction dans les termes, car le vie et la pensée apparaissent a priori séparées, voire opposées : celui qui pense semble ne pas vivre et celui qui vit semble ne pas avoir le temps de penser.
Mais séparer la vie de la pensée, c’est détruire l’être de l’homme et faire de lui un simple animal que l’on peut alors exploiter sans plus de scrupules.
Ce sont la pensée et la conscience morale qui font la dignité de l’homme, en faisant de lui ce vivant particulier, cet animal qui pense.
Que nous apprend alors la pensée sur une crise ?

1) Que les crises sont nécessaires.
La nécessité, c’est ce qui ne peut pas être autrement qu’il est selon les définitions de la logique modale dégagées en premier lieu par Aristote. Mais ce qui est (l’étant, to on) est-il nécessaire ou contingent ? Nous laisserons de côté cette question propre à l’ontologie. Peut-être que la nécessité n’existe que dans les démonstrations mathématiques et non dans les choses ? Mais les lois de la physique impose aussi une nécessité dans les choses …
Quand on dit que les crises sont nécessaires, on dit qu’elles doivent arriver ou qu’il est impossible qu’elles n’arrivent pas.
Les crises sont par exemple nécessaires en sciences, car elles sont la condition du progrès des sciences.
Pas de progrès sans révolutions scientifiques, comme l’a montré Kuhn dans La structure des révolutions scientifiques. Il y a alors changement de paradigme.
Les crises sont aussi nécessaires dans le développement des individus : on parle à juste titre de nos jours de la crise de l’adolescence.
Cette dernière crise, les sociétés de l’antiquité ne la connaissait pas, car dès la puberté, les individus devenaient des adultes avec ce que cela implique de responsabilité.
L’adolescence est un temps inventé par nos sociétés modernes pour dire que l’on n’est plus un enfant mais pas encore un adulte.
Qu’est-ce qu’un adulte ? C’est quelqu’un qui assume la responsabilité de ses actes, qui est autonome psychologiquement.
Pour des sociologues américains, avec la société de consommation, certains individus ne seront jamais psychologiquement des adultes, car dépendants toujours des nouveaux produits (article ici).
On s’achemine vers une « société d’adolescents » selon certains psychosociologues.
L’adolescence n’a rien à voir avec un temps d’une durée définie ou déterminée : la preuve, c’est que des psychanalystes (Tony Anatrella d’après Wikipedia) ou des sociologues ont inventé le terme d’adulescence pour décrire une adolescence qui n’en finit pas.
L’adulescence est illustrée par le film Tanguy.
L’adolescence est un moment paradoxal propre à l’être humain : il est à la fois pubère, c’est-à-dire capable de se reproduire et sa croissance osseuse n’est pas terminée. Il partage ces traits avec certaines espèces d’insectes et d’amphibiens, dont le plus fameux est l’axolotl.
Les travaux de Stephen J. Gould et de Konrad Lorenz montrent qu’il faut rattacher ces traits à la néoténie de l’être humain, ce qui contribue à le différencier encore plus des grands singes.
Selon l’article de wikipedia en anglais, les traits néotènes expliqueraient pourquoi les jeunes femmes sont plus sexuellement attirantes pour les hommes (cliquez ici pour lire l’article). Il n’y a là nulle perversion, mais simplement un mécanisme adaptatif de la sélection naturelle pour permettre la transmission de la connaissance symbolique qui humanise.
Cet avantage adaptatif a permis à notre espèce de devenir l’espèce dominante en un peu moins de 5 millions d’années. On ne connaît pas de meilleure succes strory du point de vue de l’évolution.
Qui dit crise dit donc séparation.

2) Que les crises sont douloureuses, voire mortelles pour qui n’y est pas préparé. Elle prend alors une valeur traumatique

Une crise peut-être douloureuse si la séparation est mal vécue.
La crise peut alors s’imposer aux consciences comme une épreuve imposée de l’extérieur.
La crise apparaît alors comme un destin, voire un fatum donc l’issue peut être mortelle.
D’ailleurs dans le vocabulaire hippocratique, la crise désigne l’apex (le sommet) de la maladie, moment où le sujet peut guérir, ou trépasser.
On retrouve encore là l’idée de choix décisif et irréversible : on ne peut plus revenir en arrière.

On ne peut plus défaire ce qui a été fait.
D’où encore l’idée de destin illustré par les trois Parques.
Une crise sépare deux moments du temps : un avant et un après.
L’idée de crise implique une discontinuité, une rupture.
A la sortie de la crise, les personnes ne sont plus les mêmes : elles ont été changées.

3) Que les crises sont dépassables, sont surmontables, si le désir de vivre est le plus fort.

Il faut pour cela y faire face, sans faire l’autruche, se remettre en question, voir pourquoi on a fait fausse route, dans quelles impasses on s’était engagé.

Il s’agit alors d’une opportunité sérieuse de changer le sens de notre existence.

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