Ce qu’on appelle l’ordre symbolique depuis les années 50 et les travaux de Claude Lévi-Strauss,  c’est la culture au sens global : « Toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres. » (Introduction à l’œuvre de M. Mauss, p. XIX)

Pour Baudrillard, qui suit les analyses de Marcel Mauss, l’ordre symbolique est l’ordre des échanges non marchands qui implique le don et le contre-don comme fondement du lien social.

Selon les analyses du même Baudrillard, cet ordre a été détruit par l’économie marchande et selon celles de Marcel Gauchet par la désacralisation de la nature, ce que Nietzsche a appelé « la mort de Dieu ».

La combinaison de ces deux mouvements constitue notre modernité dans laquelle triomphe la raison calculante, impersonnelle.

Nos contemporains sont à la recherche du sens, sachant que le rationalisme pur et dur est insuffisant pour donner du sens au monde.

Pourquoi ? Parce que la raison est trop technique : elle ne parle plus au cœur de l’homme. Ses sentiments, sa subjectivité sont évacués.

Dans la modernité, il y a forclusion du sujet, d’où une crise du sens.

Certes, cette crise ne semble pas contemporaine. Elle semble puiser ses racines dans le triomphe du rationalisme aux 17 et 18 siècles, mais elle ne semblait concerner qu’une élite intellectuelle.

Maintenant, il semble que la crise ait atteint le grand public qui ne se satisfait plus des importantes conquêtes matérielles des siècles passés.

Quand le symbolique est touché, le sens est atteint, le monde devient absurde, sans finalité.

Le sujet se sent abandonné, jeté dans le « là » du monde devenu immonde.

D’où des affects dépressifs de perte, avec des accents mélancoliques.

Le sujet contemporain, lorsqu’il n’a plus le moi-idéal pour le soutenir, s’effondre.

Notre ordre symbolique est saboté puisque notre culture a rejeté l’idée de Dieu, est tombée dans le matérialisme. Elle est devenue athée en devenant scientiste.

Certes, ce n’est pas le tout de notre culture : il reste des croyants, mais jusqu’à quand ?

Il est évident que « la mort de Dieu » produit des effets dévastateurs sur la subjectivité contemporaine. C’est l’effondrement d’un des idéaux du Moi.

Le sujet contemporain est désormais seul avec lui-même (solus ipse).

Autrui n’est plus un autre moi-même mais se présente dans son altérité radicale que le langage essaie de surmonter, mais les mots ne signifient plus rien puisqu’il manque de la transcendance pour leur donner du sens.

Nos relations avec autrui ne sont plus que des relations objectivées et non des relations de personne à personne.

C’est pourquoi la rencontre avec autrui ne peut plus prendre qu’une valeur traumatique.

Le sujet contemporain erre sans identité, d’où la tentation des replis identitaires.

L’être humain ne peut vivre sans identité, puisque cette identité va le définir. Il ne peut supporter de n’être rien, de n’être personne.

C’est cet ordre symbolique qui fait de nous des humains. Sans lui nous ne sommes plus que de simples animaux (sans que cet énoncé manifeste un mépris particulier pour les animaux).
Pour lutter contre la crise écologique qui nous affecte – et qui met en péril notre existence en tant qu’espèce – une des solutions consisterait-elle à donner à la Nature des droits, comme le préconise Michel Serres, dans Le Contrat Naturel ? Mais ce n’est pas l’inscrire dans l’ordre symbolique, puisqu’il manque la dimension irréversible de la perte constitutive du symbole.

Lorsque l’ordre symbolique s’effondre, cela produit des troubles mentaux pour les psychanalystes, troubles qui sont avant tout des troubles identitaires… Les enfants naturels – dont la filiation est inconnue – seraient plus sujets à ces troubles mentaux, mais ils peuvent sublimer dans la création artistique comme le montre le cas de Hergé analysé par Serge Tisseron, ou encore dans la recherche scientifique.

Descartes donne des exemples de troubles psychotiques dans sa Première méditation métaphysique : certains s’imaginent être rois,  vêtus de pourpre et d’or alors qu’ils sont tous nus, d’autres avoir des corps en verre.

L’inscription de l’ordre symbolique se fait pour l’être humain dans son inconscient : c’est là qu’il renonce à la nature (l’inceste) pour accéder à la culture. La non-inscription de cet ordre produit des troubles mentaux : de la psychose à la névrose.

Les femmes en tant que mères sont responsables de ces troubles mentaux : de la manière dont elles conçoivent leur progéniture se joue son destin.

L’enfant se pose d’abord comme ce qui manque à la mère pour être comblée, jusqu’au moment où il s’aperçoit qu’il n’est pas ce qui manque à la mère. Il y a déception, colère et ressentiment, ce qui permet à l’enfant de s’éloigner de sa mère sauf dans les sociétés matrilocales.

Dans nos sociétés imprégnées de culte marial (France et anciennes colonies, idem pour l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, la Russie et anciennes républiques soviétiques) cet éloignement est perçu comme un abandon de la mère, d’où un attachement névrotique à la mère pour les hommes et la difficulté de rencontrer une femme qui remplace la mère qui a toujours son mot à dire sur la choix de la compagne de l’homme.
Le lien privilégié à la mère constitue le fondement de la pulsion de mort qui s’exprime dans le désir de ne pas être né. La vie implique pour l’homme de renoncer à être celui qui comble le manque de la mère pour chercher une femme dont il voudra combler le manque : c’est ce qu’on appelle la castration symbolique.
Les castrations peuvent devenir réelles lorsque ce processus psychique n’est pas mise en place. Or certaines mères, elles-mêmes psychotiques empêchent cette indépendance de leur enfant mâle et seraient prêtes à recourir jusqu’au meurtre pour le garder (Cf. l’exemple d’Agrippa et de Néron raconté par Suétone).

L »ordre symbolique – et donc l’ordre social – est gravement perturbé lorsque chacun ne tient pas sa place dans l’ordre des générations.

De nos jours cet ordre est plus gravement perturbé encore par le système capitaliste, qui promeut une jouissance sans limites, mais cette jouissance ordonnée se heurte enfin aux limites de notre monde fini.

Mais l’être humain préfèrera disparaître plutôt que de renoncer à la jouissance.

Comme le dit Heidegger dans un cours de 1920 : « seul un dieu peut nous sauver. »

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