Paul de Tarse

Saint-Paul : philosophe ?

Introduction

[wpedon id= »520″ align= »right »]Paul de Tarse, plus connu sous le nom de Saint-Paul, est un personnage qui n’a jamais laissé indifférents les philosophes, qui l’ont souvent choisi comme cible de leurs diatribes. Je renvoie pour un exemple récent à l’œuvre de M. Onfray. Pourtant, au-delà de la polémique, d’autres auteurs l’ont jugé suffisamment digne d’intérêt philosophique pour lui consacrer chacun un essai. Il s’agit d’Alain Badiou dans St-Paul et la fondation de l’universalisme et de Giorgio Agamben dans Le temps qui reste, un commentaire de l’Épître aux Romains. L’interrogation du titre de cet article est née d’une lecture de l’essai d’Alain Badiou cité ci-dessus.

Pour Badiou, St-Paul est la figure de l’antiphilosophie par excellence (p.18). En quoi un antiphilosophe peut-il intéresser un philosophe ? Ne faut-il pas laisser en dehors du champ de la philosophie ceux qui s’opposent à elle ? Quel est l’intérêt de St-Paul pour un philosophe, alors qu’il ne cesse de dénoncer la philosophie ?

L’antiphilosophie de St-Paul

La philosophie est recherche de la sagesse. Pourtant Paul dénonce la sagesse toute humaine.

« Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s’appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur Christ. »

C’est un avertissement qu’il lance aux Chrétiens de Colosse (Colossiens 2:8). Il est plus explicite  encore dans la Première épître aux Corinthiens, chapitre 1, versets 18 et suivants :

18 «Le langage de la Croix en effet est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, il est puissance de Dieu.

19 Car il est écrit : «je détruirai la sagesse des sages et l’intelligence des intelligents1».

20 Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde ?

21 En effet, parce que le monde, par le moyen de la sagesse n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.

22 Les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse,

23 mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens,

24 mais pour ceux qui sont appelés, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.»

Développons un peu l’antiphilosophie de St-Paul selon Badiou. 1) « La thèse de Paul n’est pas que la philosophie est une erreur, une illusion nécessaire, un phantasme, etc., mais qu’il n’y a plus de lieu recevable pour sa prétention. » (p.62) « Le discours de la sagesse est définitivement obsolète ». C’est ce que montre les Actes des Apôtres : les philosophes éclatent de rire au moment où Paul parle de la résurrection des morts et s’en vont. Parce qu’ils jugent la résurrection des morts impossible. Or la croyance fondatrice du christianisme est « la résurrection des morts », développé au chapitre 15, verset 13 de l’Épître déjà citée, car :

« s’il n’y a pas de résurrection des morts, alors Christ non plus n’est pas ressuscité, et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi notre foi.»

Voilà qui est très clairement dit. « La folie de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » (déjà cité) Cet énoncé récuse définitivement les prétentions de la philosophie à une quelconque maîtrise, et même à exister, car la philosophie suppose que la raison est assez forte pour triompher des passions. Le discours paulinien récuse le discours du maître. 2) L’antiphilosophie de Saint-Paul est aussi une antidialectique hégélienne : chez Hegel, la mort du Christ est un moment vrai de la négation de l’Absolu et la résurrection est négation de la négation, mais pour Badiou, la résurrection n’est pas négation de la mort mais soustraction affirmative de la mort : elle est soustraite au pouvoir de la mort. La mort en tant que telle n’est pas abolie, mais son pouvoir n’est plus absolu. Il en est de même pour la grâce : « la grâce n’est pas un ”moment” de l’Absolu. Elle est affirmation sans négation préliminaire, elle est ce qui nous vient en césure de la loi. Elle est pure et simple rencontre. » (p.70) L’interprétation de Badiou lui permet de faire de la grâce un concept philosophique en l’arrachant aux interprétations théologiques. Cela permet de fonder un matérialisme de la grâce (ibidem) « par l’idée simple et forte que toute existence peut être un jour transis par ce qui lui arrive et se dévouer dès lors à ce qui vaut pour tous. » (ibid.)

Badiou réinterprète aussi la Croix et la mort : pour lui la Croix n’ a pas une signification masochiste : il y a la Croix certes, mais il n’ y a pas chemin de croix; il y a calvaire certes, mais il n’y a pas montée au calvaire. (p.72)

La mort physique n’est pas non plus la condition du salut. Badiou montre que l’interprétation de Nietzsche dans l’Antichrist fait contresens. Il ne s’agit pas de « tuer la vie » mais bien de « tuer la mort ». En quoi cet événement de la résurrection fonde un universalisme ? « Pourquoi, de ce qu’un homme soit ressuscité, s’ensuit-il qu’il n’y a ni Grec, ni Juif, ni mâle ni femelle, ni esclave, ni homme libre ?2 » (p.78)

L’événement de la résurrection et la fidélité à cet événement nous fait rentrer dans un rapport d’égalité et de filiation. Pour Paul, il n’y a pas de trinité : le Fils n’est pas de la même nature que le Père. « Paul dissout l’incarnation dans la résurrection. » (ibid.)

3) Paul est bien un antiphilosophe, mais son antiphilosophie est différente de celle de Pascal (p. 50 et ss.).

Pascal aussi écrit que « notre religion est sage et folle », mais Pascal écrit à l’époque du sujet de la science, à l’époque de la Révolution copernicienne. Il doit employer le discours de la science pour convaincre les sceptiques et les incrédules. La logique du raisonnement de Pascal est une union des contradictoires; c’est pourquoi il écrit que « notre religion est sage et folle. Sage parce que elle est la plus savante, la plus fondée en miracles, prophéties, etc. Folle, parce que ce n’est pas en cela qu’on en est. »

La logique du raisonnement de Paul est celle du « ni …ni »: ni juif, ni grec, et c’est par ces négations répétées que son discours acquiert un statut universel. L’universel est ce qui est ni ceci, ni cela, mais tout cela en même temps. Paul, c’est la fondation d’un oui universel (p.76) C’est cette fondation de l’universalisme qui fait l’intérêt philosophique de St-Paul.

L’intérêt philosophique de St-Paul.

Que dit Alain Badiou de St-Paul ? Qu’est-ce qui justifie son intérêt pour le personnage ? Pour comprendre cet intérêt, il faut comprendre le projet philosophique de Badiou qui est « de re-fonder une théorie du sujet qui en subordonne l’existence à la dimension aléatoire de l’événement comme à la contingence pure de l’être-multiple, sans sacrifier le motif de la vérité » (p.5). Paul est la figure exemplaire de ce sujet. Il l’exprime page 2 :

« pour moi, Paul est un penseur-poète3 de l’événement en même temps que celui qui pratique et énonce des traits invariants de ce qu’on peut appeler la figure militante. Il fait surgir la connexion […] entre l’idée générale d’une rupture, d’un basculement, et celle d’une pensée-pratique, qui est la matérialité subjective de cette rupture. »

En quoi  Paul est-il une figure exemplaire du militant et fondateur de l’universel? Paul s’interroge sur la loi qui peut convenir à un sujet dépouillé de toute identité. C’est la condition de chacun d’entre nous à notre naissance. Cette loi Paul la nomme l’amour-agapé, qui est au-delà de la Loi.

Cette interrogation nous concerne tous et ne nous laisse pas indifférents, car il s’agit de ce qui fait le fondement même de notre être, de notre identité. Paul en établissant une connexion entre un sujet sans identité et une loi sans support fonde la possibilité dans l’histoire d’une prédication universelle. Il arrache la vérité à la contingence du monde et à son relativisme en la fondant dans un sujet lui-même infondé. Tel est le sens de la figure paradoxale de Paul ; tel est le sens de son accès à l’universel dont notre monde a besoin à cause de l’idéologie culturaliste qui s’impose dans les sciences de l’homme et de la conception victimaire de l’homme.

Cette idéologie produit des ensemble dissociés, juxtaposés, qui vivent ensemble dans l’indifférence, unifiés par l’abstraction monétaire de l’argent. Cette analyse abstraite du sujet a des effets politiques. Ce qui caractérise notre époque et qui avait déjà été prédit par Marx, c’est le règne généralisé de la marchandise, bref des objets et des choses. Quelle place pour le sujet dans ce monde d’objet ? Le sujet est forclos, mais le sujet résiste… Pour nous autres, humains de ce début du XXIe siècle, la question est cruciale : comment vivre une vie pleinement humaine à une époque du triomphe généralisé des choses, où tout est susceptible de s’acheter et de se vendre ? La capitalisme mondialisé répond tout simplement à cette question : il s’agit de vivre dans des sous-ensembles communautaires. Le risque est grand de voir la société se fractionnée en sous-ensembles, groupes, sous-groupes, avec chacun des droits particuliers. Il y a menace de dislocation, d’éclatement, car ce qui fait lien n’est plus que le lien abstrait de l’argent. Mais ces différences sont de fausses différences, car dès lors qu’elles veulent se poser en vraies différences, alors se dresse une levée de bouclier, comme l’a montré l’affaire du voile islamique. Dans un tel contexte, ce qui menace c’est la destruction des vérités, càd de ce qui vaut universellement pour tous. On sacrifie au motif de la vérité : c’est le triomphe du relativisme, « l’homme est mesure de toutes choses… » On va parler ainsi d’une science occidentale, (opposée à une science non-occidentale? N’est-ce pas absurde?).

« Le monde contemporain est ainsi doublement hostile aux processus de vérité » (p. 12). Cette hostilité aux processus de vérité s’appelle encore la barbarie. Pour Badiou la mondialisation abstraite du capital et les revendications identitaires sont le reflet l’un de l’autre. Cette idéologie du capital s’appelle encore le postmodernisme ou l’hypermodernisme. Pour lutter contre cet éclatement et cette atomisation de la société contemporaine, Badiou recherche une singularité universelle (p.14). L’expression peut apparaître contradictoire : comment ce qui est singulier peut être universel ? Car ce qui est singulier est seul, unique ? C’est là où la figure de Paul est convoquée pour montrer que, puisque cela a été possible, ça l’est encore. En effet, Paul – qui se définissait lui-même comme « l’Apôtre des Gentils » veut que la particularité du message messianique, énoncé dans une communauté donnée – en l’occurrence la communauté juive – devienne un message universel, tout en gardant sa particularité. Cet événement de la résurrection lui permet de faire le procès de la Loi, de mettre la Loi en accusation dans l’Épître aux Romains :

« Par la loi le péché est entré dans le monde, la loi a fait connaître le péché et l’a rendu désirable pour les âmes perverties. »

Le désir existe indépendamment du sujet comme désir de transgression.

« Il y a transgression quand, ce qu’interdit […] la loi devient l’objet d’un désir qui vit par lui-même en lieu et place du sujet » (p. 83)

Mais pour Badiou, ce qui fait la faiblesse de la Loi, c’est sa particularité, qui inscrit des différences qui rompent l’unité de l’Un du monothéisme. Pour Paul ce Dieu est unique parce qu’il vaut pour tous : c’est en cela que sa pensée est révolutionnaire. Le Dieu du monothéisme n’est pas le dieu d’une nation donnée : il est le dieu de tous. Ce qui fonde un sujet ne peut être ce qui lui est dû (p.81).

Le but de Badiou est de rejeter toute pensée objectivante qui nierait la subjectivité de l’homme sans tomber dans le subjectivisme ou relativisme. C’est cette subjectivité qui fait de lui un « vivant immortel » selon Badiou. C’est dans l’Amour (ἀγάπη) que le sujet accomplit sa vérité selon Paul. L’amour est l’accomplissement de la Loi : « aime et fais ce que tu veux » telle est la maxime de cette nouvelle loi, à condition de donner un contenu à cet amour .

Tu aimeras ton prochain comme toi-même signifiera que tu l’aimeras aussi bien que toi-même : sous l’empire du péché, l’homme ne peut s’aimer lui-même : il est haïssable. Sous l’empire de la grâce, il est capable de s’aimer et d’aimer les autres : la grâce (χάρις) produit l’amour qui produit les œuvres. C’est le pari de Paul, et c’est un pari réussi, puisqu’il y aurait deux milliards de chrétiens dans le monde. Pour Paul, seront chrétiens tous ceux qui auront abandonné toute particularité nationale, sexuelle, professionnelle. L’apparition de cet impossible dans l’histoire fait événement et la vérité selon Badiou est la fidélité à cet événement4. Badiou pense ainsi lever les écueils du subjectivisme, du relativisme, de l’objectivation et néanmoins sauver le sujet.

Il y a chez lui une nouvelle définition de la vérité : la vérité n’est plus la cohérence d’un énoncé avec d’autres énoncés, elle n’est plus axiomatique donc, elle est affirmation d’un événement impossible. Paradoxalement, c’est l’impossibilité de ce qui est affirmé qui fonde son universalité. Comme telle, elle appartient à tous parce qu’elle n’appartient à aucun. Aucun sujet ne peut se construire sur une telle vérité : elle est plutôt déstructurante; elle est comme le nombre de Cantor, « la diagonale … de tous les sous-ensembles communautaires » (p. 15) La vérité est alors subjective (car fondée sur la déclaration d’un sujet) et universelle, car n’appartenant à aucun. Elle n’est subordonnée à aucune loi : cette dernière proposition remet en question le scientisme contemporain, l’illusion que la science recherche les lois de la nature : il n’ y a pas de lois de la nature, il y a des constantes, des régularités, mais qui se déferont sur une échelle de temps assez longue. C’est en cela que la thèse de Paul apparaît comme antiphilosophique, plus particulièrement comme anti-stoïcienne et c’est en cela aussi que sa thèse est révolutionnaire, car elle ne trouve nulle place dans les ensembles instituées de l’époque.

Le discours chrétien inauguré par Paul vise à récuser le discours religieux juif fondé sur les signes et les prophéties et le discours philosophique grec fondé sur la raison. Il y a aussi un quatrième discours qui borde les trois autres, et sur lequel Paul n’insiste pas : c’est le discours mystique ou le discours de l’indicible, ou de l’ineffable. La foi chrétienne selon Paul n’est pas fondée sur une révélation ineffable mais sur l’impuissance de la Croix qui montre la puissance absolue de Dieu. « Le troisième discours… ne sera ni logos, ni signe, ni ravissement par l’indicible » « Quiconque est le sujet d’une vérité… sait en effet qu’il porte un trésor, qu’il est transi par une puissance infinie. Il dépend de sa seule faiblesse subjective qu’elle persiste ou non à se déplier, cette vérité si précaire. »

Conclusion

L’antiphilosophie est-elle de la philosophie ? Pour Paul, c’est clairement non. Pour nous aussi. Mais l’antiphilosophie n’est-elle pas supérieure à la philosophie ? Le message de l’amour n’est-il pas supérieur au message de la raison ? Ma réponse est oui : le message religieux chrétien fondé sur l’amour universel est supérieur au message rationaliste des philosophes antiques et modernes. Si je ne suis que ma raison, je tombe au mieux dans un calcul égoïste, qui ajuste les moyens aux fins. Le rationalisme est mort dans les camps de la mort. C’est pour cela que nous avons besoin d’une nouvelle morale, d’une nouvelle éthique, d’un nouveau guide pour nous conduire dans ce monde de ténèbres. Il s’agit de montrer les limites de la raison sans tomber dans l’irrationalisme, ni dans l’antirationalisme. Nous avons besoin de la foi en l’avenir.

Notes

1 Citation d’Isaïe 29.14

2 Citation libre de Colossiens 3:11

3 Au même titre que Mallarmé d’ailleurs.

4 la notion d’événement

Pour le lecteur qui souhaiterait approfondir, je renvoie aux 600 pages de L‘Être et l’Événement et plus particulièrement aux sections IV, V, et VII de ce livre. La pensée de Badiou est difficile, car elle suppose une assimilation des résultats fondamentaux de la théorie des ensembles. Pour comprendre la notion d’événement, plusieurs entrées sont possibles : d’abord l’opposition de l’événement à l’être et à la nature.

a) L’opposition à l’être L’événement ne peut se penser que par rapport à l’être comme ce qui-n’est-pas-l’être sans être néanmoins néant. L’être de l’événement est d’être évanescent, c’est-à-dire d’aussitôt de disparaître où moment même où il apparaît. Mallarmé nous donne une description de l’événement dans son fameux poème « Un coup de dés » qui est connu pour sa difficulté de compréhension. D’où la difficulté à penser l’événement et le recours à la théorie des ensembles. Par définition un événement n’existe pas. L’être et l’événement s’excluent mutuellement. Je cite EE p. 212 : « L’axiome de fondation dé-limite l’être par l’interdit de l’événement. Il fait donc advenir le ce-qui-n’est-pas-l’être, comme point d’impossible du discours de l’être-en-tant-qu’être… »

b) L’opposition à la nature Une chemin d’accès plus familier consiste à opposer l’événement à la nature en l’inscrivant dans l’histoire, c’est-à-dire dans le récit de ce qui a eu lieu. L’événement s’inscrit donc du côté du logos, et quoique contingent, il n’est pas irrationnel, puisqu’on peut le penser. Rapidement, un événement est ce qui appartient à l’histoire ou antinature. Pour Badiou, l’Histoire avec un grand H n’existe pas, mais existent des situations historiques localisées, singulières. Pour Badiou, il n’y a pas de fin ou de but ultime de l’histoire. Il est anti-hégélien de ce point de vue. Alors que la nature se caractérise par la régularité, la répétition des phénomènes, et, selon le mot d’Aristote, a horreur du vide, l’histoire se caractérise par l’unicité, la singularité et se fait toujours au bord du vide. La singularité historique constitue un site événementiel, mais n’est pas événement lui-même. Pour reprendre le vocabulaire de Badiou, un site événementiel est une multiplicité dont aucun élément n’est présenté dans la situation (EE,195). Il est dit au bord du vide ou fondateur (ibid.). Le fondement représente un point d’arrêt dans la régression à l’infini. Aucun élément constitutif de ce multiple n’est compté comme singulier ou comme Un (il n’est donc pas représenté). Seul le multiple constitutif de la situation historique en tant que telle est compté comme Un. De fait les éléments constitutifs n’existent pas tout en étant présents. Situation extrêmement angoissante, car nous avons là la présence de ce qui n’existe pas et qui échappe à la représentation ! Dans le site événementiel, il n’y a pas d’objet propre au multiple de la situation. En effet dans l’ontologie de Alain Badiou, seul existe ce qui est dénombré, ce qui est compté pour un, le singulier, ce qui est représenté. Il reprend une thèse que l’on trouve déjà dans le Parménide de Platon : seul ce qui est Un, est être. C’est cette présence sans représentation qui fait la singularité du site événementiel. Le site est condition d’être de l’événement, mais pas événement lui-même. L’événement d’un site X est composé de tous les éléments constitutifs de la situation et de lui-même. Un événement est auto-référentiel : il appartient aux ensembles qui s’appartiennent eux-mêmes, il est donc anormal. En mathématiques, un ensemble est normal s’il appartient à l’ensemble des ensembles qui ne s’appartiennent pas eux-mêmes. Exemple d’ensemble normal : l’ensemble des êtres humains n’est pas un être humain. Donc l’événement n’est pas de l’ordre de ce qui arrive, n’est pas de l’ordre du fait, mais de l’ordre de ce qui fait advenir : l’événement est par essence incertain, improbable, incalculable, non-prédictible; c’est lui, par son ex-sistance qui fait advenir l’ordre du possible, et qui change le sens du déroulement historique. Il est défini succinctement p.56 comme « un avoir-lieu totalement précaire.» L’événement est toujours défini rétroactivement, dans l’après-coup, car en tant qu’il est en train de se dérouler, il est méconnaissable pour les acteurs. Les événements aux yeux de Badiou sont peu nombreux : la Révolution française, la Révolution russe, la résurrection du Christ. L’exemple de la Révolution française est développé p.201 de EE. À cette théorie de l’événement s’articule une théorie, une éthique et une politique du sujet dont St-Paul est une figure exemplaire.

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